Sylvie Nguedam, conseillère en adoption internationale au Secrétariat à l’adoption internationale du Québec (SAI) et chercheure associée à l’Université Laval nous parle de l’enveloppe culturelle dans la configuration identitaire chez les personnes adoptées (1)
L’identité est un phénomène
multidimensionnel qui se construit et se transforme tout au long de notre vie, à travers les interactions avec notre environnement.
Pourquoi parler d’enveloppe culturelle dans la construction identitaire chez les personnes adoptées ? L’adoption internationale implique inévitablement une double appartenance culturelle qui peut être réelle, symbolique et imaginaire. Les personnes adoptées viennent d’ailleurs et la première partie de leur vie s’est déroulée dans un autre pays, immergée dans une autre culture. De ce fait, elles sont porteuses d’une double culture (culture de naissance et culture d’accueil) qui peut induire, dans leur construction identitaire, un double sentiment d’appartenance culturelle.
Qu’est-ce que la culture de naissance pour une personne adoptée?
La notion de « culture de naissance » a suscité beaucoup de controverse dans la recherche. Pour certains auteurs, parler de culture de naissance chez les personnes adoptées, c’est donner à la culture un substrat génétique comme si la culture pouvait être transmise par la biologie (Harf et al., 2006)(2). Pour d’autres, mettre en avant la culture de naissance dans la socialisation de l’enfant adoptée serait une entrave à sa « greffe mythique » dans sa nouvelle famille (Neuburger, 2002)(3).
Cependant, lorsqu’on parle de culture de naissance, très souvent, on fait référence au bassin culturel dans lequel la personne adoptée a
vécu pendant les premières années de sa vie. Ainsi, pour les enfants adoptés très jeunes, la culture d'origine est davantage un référent symbolique qu’un élément qui structure réellement leurs manières de penser, et d’agir. Par contre, pour les enfants adoptés tardivement, de nombreux éléments de la culture d’origine sont déjà intériorisés au moment de l’adoption. Leur intégration familiale et sociale se joue à la frontière des deux pôles d’identifications culturelles.
Comment se développe le sentiment d’appartenance culturelle?
Le sentiment d’appartenance culturelle se développe dans la socialisation, notamment dans la « socialisation primaire », qui commence dès l’enfance au sein de la famille. Il s’agit de l’ensemble des mécanismes par lesquels l’enfant adopté apprend et assimile les normes, les valeurs et les croyances des deux cultures.
Dans la socialisation primaire, les parents adoptifs peuvent être regroupés en trois catégories, selon la représentation qu’ils ont de la bi-culturalité de leur enfant (Harf et al., 2006).
- Les parents qui n’ont aucun lien avec le pays de naissance de l’enfant et qui perçoivent l’enfant comme exclusivement du pays d’accueil. La bi- culturalité de l’enfant n’est pas reconnue ; sa différence ethnoculturelle n’est pas perçue comme un éventuel problème.
- Les parents qui revendiquent l’identité biculturelle de l’enfant et qui entretiennent un lien actif avec le pays de naissance. Ils y effectuent souvent des voyages, et les liens avec d’autres adoptants du même pays sont maintenus.
- Les parents qui adaptent les liens au pays de naissance de l’enfant en fonction de ses questionnements. Le voyage dans le pays de naissance se fait à la demande de l’enfant.
Et l’adoption visible dans l’enveloppe culturelle...
Chez les personnes adoptées, la culture du pays de naissance peut être actualisée ou imposée par le regard de l’autre. Cette situation s’observe davantage dans les adoptions interraciales où il existe une différence d’apparence physique entre l’enfant et le parent adoptif. Le regard social peut alors leur attribuer des liens ou une appartenance à la culture du pays de naissance, du fait de leur différence visible. Cette identité imposée, comme une sorte d’identité victime, peut placer les personnes adoptées dans une contradiction parfois douloureuse ; surtout lorsqu'elles n’ont en commun avec le pays de naissance que les caractéristiques physionomiques telles que la couleur de la peau. C’est le cas des personnes adoptées à qui on parle d’immigration ou de délinquance.
La question de la bi-culturalité ou des discriminations que peuvent vivre certaines personnes adoptées, surtout dans les adoptions visibles, ne doit pas être déniée ou minimisée dans
des logiques de socialisation qui essentialisent leur intégration dans le pays d’accueil.
Individualiser les éléments culturels pour mieux construire son identité
L’identité se construit dans un processus d’individualisation, c’est-à-dire dans un processus où l’individu se développe en se différenciant et en s’émancipant de ses origines héritées ou acquises. L’identité n’est donc pas une fatalité ; à ce sujet, Michel Foucault disait : pour exister, il faut se détacher... Se détacher ne veut pas dire se couper. Le détachement signifie notre capacité de réélaborer et de mettre en forme les liens sur lesquels s’est construite notre enfance.
La bi-culturalité comme réalité originelle chez les personnes adoptées est un déterminant hérité, acquis et non choisi. Dans ce contexte, l’individualisation peut permettre de donner une dimension subjective à l’identité dans une logique qui a du sens pour soi. Par exemple, dans la recherche des origines, nombreux sont les dossiers d’adoption pour lesquels il y a des vides ou des discontinuités dans l’histoire des origines. L’individualisation des éléments de la culture du pays d’origine peut alors permettre aux personnes adoptées de combler ces vides pour se situer dans une continuité originelle qui renoue avec les premiers chapitres de leur histoire(4).
Le sentiment d’appartenance à la culture du pays d’accueil et du pays de naissance est fonction du type de représentations que les parents adoptifs ont de la bi-culturalité de l'enfant, mais aussi de la façon dont les personnes adoptées elles-mêmes s’approprient les éléments des deux cultures acquis lors de la socialisation primaire. Dans la construction identitaire, l’origine n’est pas qu’un acte de naissance, une mère biologique ou un père biologique ; c’est aussi la culture du pays d’origine. La bi-culturalité peut être une source de grande richesse, notamment quand les deux affiliations culturelles coexistent pour permettre le déploiement de l’éventail identitaire.
Références:
(1) Cet article est un extrait de la présentation de Sylvie Nguedam au séminaire international sur la recherche des origines, organisé à Montréal (27-29 mai 2019) par le SAI Québec. Pour plus d’informations : contacter sylvie.nguedam-deumeni@msss.gouv.qc.ca.
(2) Harf A., Taïeb O., Moro M.R. (2006). Psychopathologie à l’adolescence et adoptions internationales : une nouvelle problématique ? La Psychiatrie de l’enfant, vol. 49, n° 2, pp. 543-572.
(3) Neuburger, R. (2002). Le mythe familial. ESF, Paris, 4e édition. (4)Bertrand, S. L’adoption mise en scène : témoignage artistique d’une personne adoptée enquête de ses origines. Voir bulletin SSI/CIR n° 01/2012.
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